Entretien avec Julie Kai Chahine : Coordinatrice de MenEngage Liban

1 . Veuillez vous présenter et préciser votre rôle au sein du réseau : sur quoi travaillez-vous ?

Je m’appelle Julie Kai Chahine et je suis assistante sociale, titulaire d’une maîtrise professionnelle de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Je suis actuellement coordinatrice du réseau MenEngage Lebanon. Dans ce rôle, je coordonne et apporte un soutien stratégique pour renforcer le réseau en collaboration avec Abaad. Mon rôle consiste à diriger le réseau et à fournir des conseils et des orientations sur la manière d’aller de l’avant.

2. Pouvez-vous nous faire part des principales étapes et mesures prises pour établir le réseau national de MenEngage Lebanon ?

Abaad, une organisation de premier plan qui travaille sur l’égalité des sexes dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), a contribué de manière significative à l’établissement et à la croissance du réseau de pays MenEngage Liban en collaboration avec l’Alliance MenEngage Global. Le processus a commencé en 2013 avec un accent sur la formation au renforcement des capacités autour des thèmes de la masculinité et du genre.

Les organisations qui ont participé à ces sessions de formation et qui ont démontré leur engagement à travailler pour l’égalité des genres ont été invitées à participer à plusieurs réunions stratégiques au cours des années suivantes. Ces réunions ont facilité un dialogue et une collaboration continus, favorisant ainsi la création d’un réseau d’organisations partageant les mêmes idées et dévouées à la cause.

Plus tard, une autre étape importante dans l’évolution du réseau national a été la création du secrétariat du réseau national en 2017. Ce groupe de direction du réseau national a mis l’accent sur un modèle de leadership horizontal avec cinq organisations choisies par les membres.

Enfin, une autre réalisation importante a été l’élaboration de divers documents stratégiques, qui ont abouti au document stratégique global publié en 2021. Ce document est essentiel car il définit des rôles, des règles et des attentes normalisés pour les membres du réseau, tout en fournissant un cadre pour la durabilité et la croissance future.

3. Au fil des ans, le réseau a surmonté divers obstacles. Quels sont les enseignements clés ou les pratiques prometteuses que vous aimeriez partager avec d’autres membres pour les aider à surmonter des défis similaires ?

En cette période difficile pour notre pays, nous sommes fiers que notre travail ait repris avec le lancement du réseau MenEngage Lebanon. Au cours des cinq dernières années, le Liban a été confronté à de nombreuses crises nationales qui ont mis à rude épreuve les activités du réseau. Ces défis ont également conduit au développement de certaines pratiques prometteuses que nous avons mises en œuvre.

Un aspect important de toutes les réunions du réseau MenEngage Lebanon pendant ces crises a été la reconnaissance collective et le traitement des traumatismes. Les activistes du réseau sont souvent totalement absorbés pendant les périodes de crise, car ils doivent gérer les besoins changeants et croissants des personnes dans le besoin. Au cours de ces périodes, les soins personnels et l’attention portée à la santé mentale peuvent faire défaut. En plus de rappeler aux membres l’importance de prendre soin d’eux-mêmes et de fournir des ressources, les réunions du réseau ont commencé par la reconnaissance de chaque membre en tant qu’individu victime d’un traumatisme.

Cette approche a permis de créer des espaces sûrs où les membres ont pu traiter leurs expériences traumatiques, ce qui a favorisé le soutien mutuel et la solidarité.

En outre, pendant ces crises, de nombreux membres ont réévalué les ressources allouées aux projets dont ils étaient responsables et les ont modifiées pour apporter un soutien supplémentaire aux femmes et aux jeunes filles dans le besoin. Cela a été particulièrement évident lors de la pandémie de coronavirus, ou lors des explosions de conflits dans les rues de Beyrouth, et lors de l’explosion du port de Beyrouth. De nombreuses femmes et jeunes filles, en particulier celles qui sont le plus marginalisées par la société libanaise, se sont retrouvées sans grand soutien.

En réponse à ces événements, les membres ont modifié leurs objectifs temporaires et alloué des ressources pour répondre à leurs besoins croissants en fournissant de la nourriture, des abris, des services supplémentaires et des kits d’hygiène, en particulier pour les groupes marginalisés ou ceux qui vivent dans les zones rurales.

Le réseau élabore également des stratégies pour fonctionner efficacement dans des contextes d’instabilité économique et sociale et de conflits violents. En adoptant l’approche féministe intersectionnelle du tiers-monde, le réseau se positionne de manière plus réaliste dans l’environnement difficile actuel. Cette adaptation est cruciale à mesure que le réseau se développe et s’ajuste aux réalités nationales et régionales. D’autant plus que le féminisme intersectionnel du tiers-monde est une forme d’analyse utilisée par de nombreuses féministes vivant dans les pays du tiers-monde, car les idées néolibérales sur le féminisme, qui ne s’appliquent généralement qu’aux femmes blanches du monde occidental, ne correspondent pas aux réalités vécues par les femmes du tiers-monde. La discussion du docteur Layla Ahmed sur le voile dans les pays musulmans et les droits des femmes en est un exemple. Alors que de nombreuses féministes néolibérales affirment que le hijab est un vêtement imposé aux femmes qui les prive de leurs libertés, de nombreuses féministes de cette partie du monde ont riposté en affirmant que la femme devrait pouvoir choisir comment s’habiller et que cela ne devrait pas lui être imposé par sa société ou par des pressions internationales néolibérales de l’extérieur. Elle a cité l’exemple des femmes iraniennes qui ont utilisé le voile dans les années 70 pour protester en faveur du féminisme.

Ainsi, la reconnaissance de ces réalités environnementales et la compréhension de la sphère d’influence du réseau prépareront mieux le réseau à prospérer dans des environnements hostiles. Les membres du réseau peuvent ensuite partager ces connaissances avec d’autres membres du réseau mondial confrontés à des défis similaires.

4. Quelles sont les priorités, les activités ou les thèmes clés du réseau pour l’avenir ?

Nous pensons qu’il est important de continuer à renforcer les capacités toujours croissantes des membres de notre réseau. Au cours des dernières années, le renforcement des capacités des membres du réseau MenEngage Lebanon a été couronné de succès. Cependant, il existe de nombreuses nouvelles ressources et de nouveaux sujets d’intérêt grâce auxquels nous pouvons continuer à nous développer. Et nous espérons inspirer l’apprentissage horizontal en encourageant les membres du réseau à se former les uns les autres. Voici quelques-uns des thèmes qui seront abordés lors des formations de renforcement des capacités

• Citoyenneté inclusive du point de vue du genre
• Approche transformatrice du genre
• Création de mouvements et plaidoyer
• Formation sur la masculinité
• Programme sur les compétences parentales avec les pères
• Programme pour les jeunes
• Responsabilité et protection contre l’exploitation et les abus sexuels

En outre, les membres du réseau visent à accroître la visibilité du réseau et de son travail par le biais de deux approches principales :

• la mise en œuvre d’initiatives sociales à travers le Liban dans différents lieux géographiques.
• Lancer une campagne de sensibilisation sur les questions liées à la masculinité et à la violence à l’égard des femmes.

Nous prévoyons d’organiser des sessions thématiques avec les membres du réseau de partenariat afin de documenter les défis et les solutions qu’ils ont trouvés en opérant dans des contextes uniques. Ces sessions fourniront des informations précieuses sur les défis, les techniques et les stratégies que les activistes sur le terrain et les membres du réseau utilisent régulièrement.

5. Qu’est-ce que le réseau espère réaliser dans un avenir proche ?

Nous sommes très enthousiastes à l’idée d’être la pierre angulaire du développement du réseau régional MenEngage MENA. Les connaissances et les expériences collectives de nos membres constituent une réserve idéale d’activistes qui comprennent les langues, les dialectes et les cultures régionales, ce qui en fait des formateurs idéaux pour renforcer les capacités des futurs membres du réseau régional.

En outre, plusieurs membres du réseau ont publié des ressources, des boîtes à outils et des recherches sur divers sujets qui constitueront un cadre solide pour les efforts de renforcement des capacités régionales.

6. Y a-t-il des événements ou des initiatives à venir que vous aimeriez souligner ?

Le 4 juin, les élections pour le prochain secrétariat du réseau MenEngage Lebanon ont eu lieu. Le secrétariat a été élu par l’assemblée générale et nous avons maintenant 5 nouveaux membres issus de différentes organisations.

Nous sommes très enthousiastes à propos de cet événement car il peut servir de référence pour la mise en œuvre des plans que nos membres ont élaborés pour l’année à venir. Nous sommes impatients d’informer les membres de l’Alliance MenEngage Global du monde entier de ces activités au fur et à mesure qu’elles se déroulent.

De gauche à droite, le secrétariat nouvellement élu est composé de

• Mme Lina Sabra
• M. Mohamad Younis
• Mme Jeanne Frangieh
• Mme Souad Abel Rahman
• M. Rami Fares